• IMAGINE...

    Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Je suis un vieux monsieur. J’ai 70 ans. Alors ils sont tous venus. Il y a mes 2 fils et mes 3 filles, les gendres et les brus et les 7 petits enfants dont le plus vieux vient juste d’avoir 20 ans.

     

    20 ans ; exactement l’age que j’avais quand… quand tout aurait pu basculer… non, pas basculer ; mais être différent, être autrement.

     

    Et quand je vois notre tribu et notre maison pleine de bruits et de soleil, notre jardin plein de roses et notre bibliothèque, mon refuge, pleine de sérénité ; et surtout quand je te regarde, toi, ma compagne, ma complice des bons et des mauvais jours, toi avec qui j’ai tout construit, toi sans qui rien ne se serait construit, je me dis que j’ai eu une bonne vie, une belle vie et qu’à 20 ans, j’ai pris le bon chemin, j’ai eu le bon réflexe… sans même le savoir…

     

    A quoi tiens la vie ? A quoi tiens le bonheur ?

     

    Pendant qu’arrive le gâteau d’anniversaire dont je devrais souffler les bougies en une seule fois pour bien montrer que j’ai encore du souffle et que mon fils aîné ouvre une bouteille de champagne australien, bien meilleur que celui que font les français d’après ce que l’on dit chez nous, je revois cet épisode de ma vie comme un vieux film, avec amusement, avec attendrissement, cet épisode que je n’ai jamais raconté à personne.

     

    §§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§

     

    C’était la nuit, une nuit de novembre 1959, à Londres, sur un quai de la Tamise, non loin de « Vauxhall bridge »…

     

    Non, il n’y avait pas de brouillard… mais un froid sec et vif, pétillant et vert comme du champagne.

     

    Le lendemain, je reprenais le bateau pour rentrer chez moi, en Australie, au bout d’un an de voyage.

     

    L’idée était de mon oncle. Il voulait que je lui succède à la tête de son cabinet d’assurances et il ne croyait ni aux études, ni aux diplômes. Autodidacte, il pensait qu’un jeune devait voyager autour du monde plutôt que de perdre son temps sur les bancs d‘une fac. Il avait convaincu mes parents. Il m’avait acheté un billet d’avion pour les USA et une guitare. Il m’avait mis un paquet de « traveller’s » dans les mains et m’avait conduit en personne à l’aéroport en m’expliquant qu’avec la guitare et les accords qu’il m’avait appris quand j’étais jeune, je pourrai gagner ma vie n’importe où…

     

    Il avait raison.

     

    Je suis parti fin 58. J’ai parcouru les « States » en stop de San Francisco jusqu’à New York en faisant un détour par le Canada puis je suis passé en Europe où j’ai sillonné l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la France et enfin l’Angleterre. Partout, avec ma guitare, j’ai été bien accueilli. Grâce à elle, on m’a donné à manger, à boire et rares ont été les soirs où je dormais seul dans mon sac de couchage.

     

    J’ai vu, j’ai appris plein de choses sur le monde et sur les hommes. J’ai connu des galères. J’ai vécu des moments merveilleux mais j’en avais marre. J’étais heureux de rentrer enfin chez moi. « I’m going home ».

     

    Ma dernière nuit à Londres... J’étais assis dans la pénombre de ce quai désert et je jouais de la guitare en chantant des textes que j’avais griffonnés sur un carnet, au hasard de mes rencontres, de mes étapes, de mes découvertes.

     

    C’était une belle nuit même si la lune jouait à cache cache derrière les nuages. Loin, vers le parc, sonnait un clocher… Londres, Impératrice des cités où jamais je ne me suis senti « étranger ». C’est en parcourant ses rues et ses parcs que le mot « liberté » a prit du sens pour moi. A Madrid, on m’a traité de clochard et à Paris, la police m’a contrôlé 20 fois en un mois. Ici, jamais un policeman ne m’a adressé la parole… Si, une seule fois, à « Trafalgar », vers 3 heures du matin, pour me demander si je n’avais pas trop froid.

     

    J’aime Londres, la plus libre, la plus tolérante, la plus séduisante des cités que je connaisse.

     

    Je ne sais pas par où il est arrivé. Brusquement, il était devant moi, c’est tout. Il me regardait et il écoutait mes chansons en silence. Il avait mon age à peu prés. Vêtu de cuir noir, il portait les cheveux longs pour l’époque. Dans l’obscurité, j’avais du mal à distinguer son visage. Simplement il se taisait ; il écoutait.

     

    Alors, j’ai joué tout mon répertoire pour cet unique spectateur, pour cet unique concert, sous les étoiles, dans l’air vif qui sentait parfois le goudron ou le gas-oil quand passait sur le fleuve un bateau. Les mouettes, perchées sur les amarres, dormaient.  

     

    Combien de temps ai-je joué ? Je ne sais pas. A un moment j’ai eu soif. J’ai ouvert une cannette de bière et j’ai bu une gorgée au goulot. Puis, je lui ai tendu la bouteille. Il l’a vidé d’un coup. Il a sorti un paquet de cigarettes et m’en a offert une avant de se servir. J’ai posé ma guitare et ensemble, en fumant, sans rien dire, on a regardé le fleuve où passait un train de péniches chargé de voitures.

     

    Tout à coup, il a parlé. Il m’a dit que ma musique était vraiment fabuleuse et que mes textes sonnaient juste. Il avait l’air sincère. J’ai rigolé. Je lui ai parlé de mon oncle qui m’avait appris à jouer et de mon voyage, des villes, des aventures qui avaient inspiré ces chansons.

     

    Il m’a dit que c’était génial, vraiment génial et il m’a parlé de lui, un tout petit peu… de sa mère tout de suite mais je n’ai pas compris si elle était morte ou simplement partie…il avait envie d’aller un jour aux USA. Il s’y passait des choses importantes pour la musique et surtout il y avait New York, la seule ville à ses yeux où il pourrait vivre… et mourir…

     

    Il avait une belle voix, grave et triste mais déjà cassée et usée pour son age et en même temps capable d’enthousiasme surtout quand il parlait de musique. Il essayait de former un groupe mais il avait du mal. Il y avait toujours un truc qui n’allait pas. Les mecs ne venaient pas aux repet’ ou ils arrivaient bourrés. Il avait l’air découragé.

     

    Je lui ai tendu ma guitare pour qu’il me montre ce qu’il jouait mais il a refusé en me disant que c’était mon concert à moi seul. Il a voulu que je rejoue une chanson qui parlait de Memphis et d’une fille aux yeux noirs et pleins de haine.

     

    Il m’a écouté presque religieusement. Il a rallumé une cigarette et c’est la seule fois où j’ai pu voir son regard, à la lueur du briquet, un regard étrange…lunaire… il était autre part, déjà dans un autre univers…

     

    A la fin, il y eu un long silence et puis, hésitant, presque timidement, il m’a demandé si je voulais pas venir, un jour, jouer avec lui et son groupe. Il avait besoin d’un son tel que le mien. Je lui ai répondu que c’était impossible, que je repartais chez moi, en Australie, sur un cargo, demain.

     

    Il n’a pas insisté.

     

    Une aube timide se levait doucement, loin, de l’autre coté de la ville et le vent a fraîchi.

    Les mouettes et les goélands, un à un, s’ébrouaient et prenaient leur envol vers la mer pour aller pêcher. 

     

    Alors, il s’est levé et m’a fait un signe de la main en guise d’adieu.

     

    Comme il s’éloignait, je lui ai demandé :

     

    -       « Hé, mec ! »

     

    Il s‘est retourné.

     

    -       « c’est quoi ton nom ? »

     

    Il s’est marré :

     

    - « Pourquoi ? Tu veux m’envoyer une carte postale avec un kangourou dessus ? »

                - « Non ! Pour mon journal. Je note le nom de tous ceux que je rencontre.

     

    Il a hésité puis, s’est décidé :

     

    -       « Lennon »

     

    Un silence.

     

    -       « John Lennon »

     

    Et il a continué son chemin vers le jour qui arrivait.

     

    §§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§

     

    Tout le monde attend que je souffle les bougies. Mais moi, la seule chose que je vois, c’est ton regard. Tu me regardes en souriant. Toi seule a compris que j’étais parti loin, très loin pendant quelques instants…

     

    Ce sourire et ce regard : toute ma vie…

     

    Non vraiment, il n’ y a rien à regretter…

     

    LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

    « UNE JOURNEE DE MONSIEUR LISUR LA 117 »

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  • Commentaires

    19
    Mardi 24 Février 2009 à 18:29
    Eh bien voila L.I.,

    Maintenant je peux te le dire, puisque j'ai egalement lu celle ci, en verite, j'ai commence par celle ci avant la journee de monsieur Li, mais ici je reponds a l'envers.

    J'ai aime la facon dont la rencontre est amenee, les bougies et le regard sur le present avant la plongee dans les souvenirs et puis enfin le retour sur le present. Evidemment on sait d'apres le titre, enfin je l''avais devine qu'il s'agirait de Lennon mais dans le tram le soir en rentrant, j''etais depuis passee a autre chose et donc j'ai ete surprise enfin je me suis lqissee surprendre je dois dire que ce n'est pas desagreable. Merci.
    18
    Vendredi 13 Février 2009 à 15:52

    C'est toujours moi et je vais egalement en profiter puisque je suis la pour imprimer celui ci comme ca je passerais de Monsieur Li a Lennon en une soiree.

    A tres vite pour mes impressions

    Caro

    17
    Mardi 3 Février 2009 à 11:45
    tiens, tu sais quoi  pendant que je te lisais, j'imaginais... j'essayai de vous, de t'imaginer, je ne vous connais pas mais là rencontre de votre écriture, de ton écriture est une belle page à revasser!!  à imaginer!
    merci à toi , cela me rappelle là fois où derrière moi dans un petit théatre c'est assis mr ponti (auteur jeunesse) un héros que j'admire tant! un moment pour réaliser, 10 secondes pour fondre et 15 mn pour lui adresser trois mots;..'vous savez" je suis là incognito" me dit il! ah mais non , c'est pas possible ; voilà des années que je reve à travers vos livres de vous rencontrer , je ne peux pas regarder la pièce en me disanr mr ponti est derrière moi! et bien venez à coté me dit il.. et c'est ainsi que j'ai partagé son rire souvent en décalés avec les miens d'ailleurs, rien n'est parfait!
    merci à toi last irokoi pour tes com' si sympas et à bientôt pour une prochaine visite!
    16
    Lundi 2 Février 2009 à 23:38
    Je te Remercie De Ton Adresse. je l'avais égaré, merci de me la re-donner.
    A+
    15
    Lundi 2 Février 2009 à 22:48
    Peux-tu dire à Marlou que j'aime beaucoup ce qu'elle fait?
    J'ai perdu son adresse; décidément, avec l'Alzheimeir, l'on a tendance à perdre la mémoire.
    Enfin, heureusement que, parfois, il nous arrive de la retrouver, Dieu merci.
    Ami calmant.
    Pat.
    14
    Samedi 31 Janvier 2009 à 19:36
    Un regard en dit long, une seule présence bouscule toute une vie.       
    13
    Samedi 31 Janvier 2009 à 16:46
    Bonsoir, L.I.
    La couverture est d'un de mes amis, à qui j'avais demandé de me la faire ainsi...il y a fort longtemps.
    J'ai essayé de le joindre, sans résultat, mais comme en ce moment je suis dans le gratuit, le don le plus complet, de vieux amis perdus de vue depuis 20 ans me reviennent.
    L'auteur de la couverture se nomme Philippe Benoît.
    Passe un bon week end.
    Amicalement.
    patrick.
    12
    jmp
    Samedi 31 Janvier 2009 à 16:14
    Merci pour ton passage en Bretagne...Je vois que la force est en toi sur ton blog et dans ta réserve! Je reviendrai te voir dans le vrai monde et la vraie vie...Kénavo
    11
    Vendredi 30 Janvier 2009 à 20:43
    Bien sûr que vous pouvez mettre un lien ! Je vous en remercie, et bonne soirée...
    10
    Vendredi 30 Janvier 2009 à 09:48
    Quelle belle histoire ! J'adore avoir de nouveau lecteur, parce que c'est toujours une découverte pour moi en retour... Merci de ton passage par chez moi, et si tu as aimé "Être présent", tu aimeras aussi sans doute "Lettre à Telenn de sa fée Linwen", ainsi que d'autres des catégories Ecrits, Passeuse et Sûl...
    9
    Jeudi 29 Janvier 2009 à 21:21
    A mon tour d'entrer chez toi !
    J'ai apprécié ce que j'ai vu ici au cours de ma 1ère visite.
    Elle me touche cette histoire qui nous place en spectateur d'une fête familiale, puis d'un soir de one-man show..., et d'une rencontre que j'ai aimé vivre de la manière suggérée ici.
    A tout bientôt !
    8
    Jeudi 29 Janvier 2009 à 19:59
    Il existe de ces rencontres que l'on n'oublie jamais et qui jalonnent notre vie, comme les cailloux du petit poucet... Importantes, on s'en souvient parce qu'on sait, intuitivement, qu'elles ont une raison, une fin... Celle-ci s'est manifestée à ton souvenir à un moment précis... Il n'y a pas de hasard : juste des coïncidences signifiantes...
    Bon anniversaire Last Iroquoi... Et que les suivants vous voient comme en ce jour en forme et les yeux, les sens, bien ouverts...
    Amicalement
    Sasha
    7
    Jer
    Jeudi 29 Janvier 2009 à 18:40
    Un merveilleux texte sur le chemin qu'on a finalement emprunté (ou qu'on aurait pu emprunter).
    Une rencontre formidable, qui reste gravée et qui n'enlève en rien au choix fait, car ce choix fut pour le personnage (comme cela aurait pu l'être pour n'importe qui) la conséquence de son existence, de son bonheur, d'une famille.
    Et finalement, cette rencontre, fait partie de ce choix...
    Bonne soirée à toi Lastirokoi
    6
    Mercredi 28 Janvier 2009 à 14:46
    Sans regret, simplement. C'est là, le vrai sens de la vie et le bonheur. Avancer et assumer ses choix, me^me si parfois le découragement gagne, même si parfois l'envie gagne, même si parfois, juste une heure, on se rêve autre et ailleurs...
    5
    Mardi 27 Janvier 2009 à 12:00
    Je te souhaite un très bon anniversaire (avec quelques jours de retard...)
    4
    Lundi 26 Janvier 2009 à 21:03
    Du boum au coeur de ma soirée apres une journée de m..de!
    Merci, tout simplement. Ton texte me fait un peu, peut être, l'effet de ta rencontre avec JL.
    3
    Dimanche 25 Janvier 2009 à 18:48
    Il n'y a rien à regretter, la rencontre a eu lieu, tout simplement ... la lune peut en témoigner et c'est bien ... La vie, le bonheur, les choix sont affaires d'instants où le coeur nous parle et décide pour nous, il a ses raisons que la raison ne connait pas !
    toujours grande chaleur à lire tes mots ... Bon anniversaire au monsieur sans nom !
    2
    Dimanche 25 Janvier 2009 à 18:26
    J'adore Last Irokoi ...Cela vibre dans le coeur à l'infini.
    Je voudrais m'abonner à ton blog
    1
    Dimanche 25 Janvier 2009 à 18:25
    J'adore Last Irokoi ...Cela vibre dans le coeur à l'infini
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